Message de Monseigneur Christory – Vendredi 05 Juillet

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Sans amour, que resterait-il de la fraternité ?

Susciter la fraternité entre les citoyens demeure un défi. Nous sommes dans l’entre-deux tours des élections législatives, moment grave pour notre pays. Pour apporter un peu de lumière, j’aimerais prolonger la lecture de l’encyclique Fratelli tutti donnée par le pape François en 2020 avec son troisième chapitre qui arrive à point nommé dans le contexte politique et dont le titre est : « Penser et gérer un monde ouvert ». Le pape avait auparavant commenté l’évangile du bon samaritain. Il nous plaçait face au dilemme du soin au blessé ou de l’indifférence. Or l’ouverture à l’autre permet d’aimer. Le pape dit que « personne ne peut expérimenter ce que vaut la vie sans des visages concrets à aimer » (FT 87). En aimant, l’homme sort de lui-même, de son égoïsme replié sur lui-même ou ceux qui lui sont proches. Personnellement, comment pourrais-je ne pas bénir Dieu de m’avoir appelé au sacerdoce en m’offrant une vie qui me donne de rencontrer et d’aimer autant qu’il m’est possible des personnes de milieux et de langues si divers. Mon sacerdoce m’a permis de voyager et d’être mis en relation avec des gens que jamais je n’aurais rencontré par ailleurs. Le texte du saint Père dit que l’amour et les formes d’amitié les plus nobles « résident dans des cœurs qui se laissent compléter ». Ce mot compléter est intéressant puisqu’il dit que notre humanité ne se déploie pas entièrement si nous ne rencontrons pas l’amour. 
 
Mais n’y a-t-il pas un risque à s’ouvrir à des relations inconnues et nouvelles ? En réalité, elles permettent de déployer le meilleur de notre humanité. D’ailleurs, le pape François rappelle que la tradition monastique chrétienne inclut l’accueil du pauvre et du pèlerin, reçus comme des frères. Ici, on peut ajouter une parole du Christ, en écho au texte que nous lisons : « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait (Mt 25,40) ». En effet, nous croyons que le Christ habite le cœur de l’homme par l’envoi de l’Esprit Saint : l’amour du prochain est intimement lié à l’amour du Christ. 
 
Le pape François insiste donc sur la valeur unique de l’amour. Saint Paul affirme que sans amour, nos vies sont vaines (1Co 12) ainsi que tous nos efforts, même ceux destinés à une vie vertueuse. « Le plus grand danger, c’est de ne pas aimer » (FT 92). Mais alors qu’est-ce que l’amour ? Il est chanté par toutes les générations, les romans le servent à toutes les sauces, on cherche tous à en vivre, pourtant souvent il nous échappe comme le sable dans le creux de la main. Saint Thomas d’Aquin dit que l’amour est un mouvement. Ce mot est précieux puisqu’il sous-tend un déplacement de soi, un aller-vers l’autre. Il faut assurément ajouter la gratuité, le service, la disponibilité désintéressée, la présence, l’ouverture croissante à l’autre, jusqu’à comprendre selon les mots de Jésus-Christ que tous les hommes sont frères puisque créés et aimés par le Dieu unique. 
 
En parlant de fraternité, l’Église propose une vision téméraire puisqu’elle impose que toute personne soit incluse dans la fraternité ecclésiale avec l’espoir qu’elle le soit dans la fraternité humaine. Ici, nous devons considérer les migrants, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, ceux et celles à qui la société n’offre pas une réelle participation à l’élaboration du projet politique et social commun. À beaucoup de personnes très fragiles, dans les faits, il n’est pas reconnu une égale dignité. Le pape précise que « l’amour qui s’étend au-delà des frontières a pour fondement ce que nous appelons ‘‘l’amitié sociale’’ dans chaque ville ou dans chaque pays. Lorsqu’elle est authentique, cette amitié sociale au sein d’une communauté est la condition de la possibilité d’une ouverture universelle vraie. » (FT 99) La quête d’une authentique fraternité ne vise pas à créer une société homogène, unifiée faussement par une idéologie autoritaire ou encore une globalisation aplanissant les différences culturelles et les traditions familiales.  En effet, il existe « un faux rêve universaliste », nous dit le pape, qui « finit par priver le monde de sa variété colorée, de sa beauté et en définitive de son humanité (FT 100) ». 
 
Nous comprenons que cette fraternité appelle une ouverture et un déplacement. En politique, personne ne décrète aux humains l’obligation de devenir des frères, personne ne peut les contraindre à s’aimer. S’ajoute la réalité de l’individualisme croissant qui contredit cette dimension humaine de l’amour, alors que tant d’hommes et de femmes vivent seuls et s’enfoncent parfois dans la solitude, avec l’illusion d’être connectés par les réseaux sociaux à tant d’amis qui n’en sont pas. Pareillement, comment affirmer que tous sont égaux quand des cercles humains ne laissent pas entrer l’autre qui est différent ? La société démocratique instaure les mêmes droits pour tous, comme l’accès à l’éducation et aux soins, à la culture et au travail. Mais c’est en réalité loin d’être réalisé. Quant à susciter des liens d’amour, il faut aux hommes une force supérieure à l’autorité de la loi civile pour y arriver, soit une source inspirante qui fait jaillir l’amour. À Vernouillet, la mairie a inscrit en grandes lettres sur le mur de l’église la devise républicaine « liberté, égalité, fraternité ». Était-ce pour rappeler au clergé que l’État a le pouvoir ? Ou est-ce un cri du cœur qui dit que sans Dieu, cette devise n’a aucune chance de se réaliser pour les gens de la commune ? On pourrait voir là un cri du cœur adressé aux chrétiens « aidez-nous ! ». Dans les faits, c’en est un, mais ne voyons pas forcément là la volonté de la commune. 
 
Le pape continue ce chapitre en parlant de la promotion du bien. Certains s’offusquent en dénonçant un retour de la morale. Si nous parlons d’éthique, le mot passe mieux, pourtant il dit la même réalité. La recherche du bien est une nécessité si l’on comprend que les hommes ne vivent pas seuls mais doivent promouvoir le bien commun, l’art de vivre en harmonie, sans égoïsme ni corruption. Une parole de l’évangile l’éclaire : « tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux, vous aussi » (Mt 7,12). Cette promotion du respect et de la liberté authentique se fera avantageusement auprès des enfants dans les milieux éducatifs, par le service notamment des personnes en situation de fragilité. Ce service ouvre le cœur de l’enfant. Il pourra expérimenter la générosité, apprendra la richesse du partage. C’est tout aussi important que de l’éveiller à la juste répartition des biens et des richesses, tant naturelles qu’économiques. Nos pélés-VTT, nos écoles de prière, nos camps de jeunes et scouts sont autant de merveilleux lieux afin de mettre en pratique cette expérience du don de soi et de l’ouverture à tous.
 
À la fin de ce chapitre trois, le pape nous offre une dernière réflexion stimulante : « si l’on accepte le grand principe des droits qui découlent du seul fait de posséder la dignité humaine inaliénable, il est possible d’accepter le défi de rêver et de penser à une autre humanité. On peut aspirer à une planète qui assure terre, toit et travail à tous. C’est le vrai chemin de la paix, et non la stratégie, dénuée de sens et à courte vue, de semer la peur ou la méfiance face aux menaces extérieures. » (FT 127) En ces jours d’élections, prions pour que les femmes et les hommes qui seront élus veillent sur cet objectif, pour une humanité renouvelée par l’amour. Rêvons que nos députés apprennent l’art du dialogue qui est le fondement de la démocratie, plus que cette opposition stérile entre les partis politiques. À vous les députés, le peuple vous attend pour que vous déployiez une véritable sagesse afin de ne pas oublier ceux et celles qui se sentent exclus de la fraternité, mot pourtant ostensiblement affiché sur le fronton de nos mairies, mais si souvent bafoué dans les relations interpersonnelles. 
 
Je vous invite à prier pour chacun de nous et surtout pour les hommes et les femmes qui, en notre époque, vivent à la marge d’une fraternité espérée. 
 
Notre Père.

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